Crise à l’Université Laurentienne : une occasion de repenser l’enseignement supérieur en français en Ontario

Embourbée dans une crise financière, l’Université Laurentienne a supprimé 60 programmes, dont 28 programmes de langue française, et licencié 110 professeurs le 12 avril 2021 dernier. Depuis, le milieu universitaire et la communauté franco-ontarienne sont sous le choc.

Ainsi, 69 % des programmes de langue française dans cette université ont été rayés d’un trait, dont ceux d’Histoire, Littérature, Éducation, Études de l’environnement, Sage-Femme (le seul hors Québec), Théâtre, Philosophie, Génie minier et Science politique, pour ne nommer que ceux-là.

Le couperet est tombé dans le but d’assainir les finances de l’Université Laurentienne, qui s’est placée à l’abri de ses créanciers le 1er février 2021 en invoquant la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), une première pour une université publique au Canada. La LACC est une bouée de sauvetage pour les entreprises privées en détresse financière : elle leur permet de poursuivre leurs activités tout en tentant de conclure des ententes avec leurs créanciers devant les tribunaux, afin d’éviter la faillite.

Les actes de procédures déposés à la Cour supérieure de justice de l’Ontario font état des origines de la crise financière, des tentatives de redressement et de son état actuel. De 2015 à 2020, le déficit opérationnel de l’Université Laurentienne est passé 8,2 millions $ à plus de 20 millions $ par année. Avec une dette qui dépasse les 100 millions $, l’Université est aujourd’hui incapable de rembourser ses créanciers ou de payer ses employées.

Une décision comptable

Pour l’Université Laurentienne, ses démarches sous l’égide de la LACC relèvent d’un exercice comptable qui lui permet de faire fi de son mandat public à l’égard de la francophonie ontarienne.

Autre que pour rappeler la création de cette université, en 1960, comme université fédérée bilingue et la subvention pour le bilinguisme qu’elle partage avec l’Université de Sudbury, le dossier de requête de l’Université Laurentienne (qui comprend un mémoire et quatre volumes de documents, dont l’affidavit du recteur Haché) ne mentionne aucunement son rôle historique en tant qu’institution phare de la communauté franco-ontarienne.

Les plus de 1500 pages d’argumentaire avec pièces à l’appui (rédigés en anglais seulement) passent sous silence les institutions avec qui l’UL a nourri la langue et la culture françaises dans le Nord de l’Ontario depuis plus de 40 ans : l’Institut franco-ontarien, le Théâtre du Nouvel-Ontario et les éditions Prise de parole.

La francophonie escamotée

Plus étonnant encore : la requête de l’Université Laurentienne passe également sous silence le fait notoire de sa désignation aux termes de la Loi sur les services en français (LSF), une loi qui l’oblige à garantir l’offre de ses services et programmes en français. Pourtant, il aurait été pertinent dans le cadre d’une restructuration de faire valoir les obligations juridiques de l’Université Laurentienne envers la minorité franco-ontarienne. Rappelons que c’est cette loi qui a servi de bouclier à l’Hôpital Montfort, le seul hôpital francophone de l’Ontario, menacé de fermeture lorsque le gouvernement de l’Ontario restructurait les soins de santé de la province à la fin des années 90.

La décision de l’Université Laurentienne d’escamoter la francophonie et la LSF de sa démarche de restructuration est révélatrice du peu d’importance qu’elle y accorde et de la place marginale qu’elle lui réserve dans son plan de relance.

Le 30 mars, l’Assemblée de la francophonie ontarienne (AFO) a introduit une motion pour s’immiscer dans les procédures judiciaires et contraindre l’Université Laurentienne à négocier avec elle et l’Université de Sudbury, et étudier toute proposition « susceptible d’avoir une incidence sur la restructuration conformément aux objectifs de la LACC et aux droits de la communauté franco-ontarienne », notamment au regard de la LSF.

Chronologie d’une crise

Craignant le pire, les professeurs francophones ont sonné l’alarme au mois de février. La communauté francophone s’est mobilisée et les événements se sont enchaînés rapidement par la suite.

Le 13 mars, l’Université de Sudbury a annoncé sa volonté de devenir une institution entièrement francophone, laïque, dirigée par et pour la communauté franco-ontarienne. Les messages de solidarité des élus provinciaux et fédéraux, et en provenance du milieu universitaire canadien se sont multipliés au cours des semaines suivantes ; le souhait de voir naître une nouvelle université de langue française à Sudbury s’est intensifié.

Le 7 avril, l’Université Laurentienne a annoncé la dissolution de la fédération qui l’unit aux universités de Thornloe, Huntington et Sudbury, laissant le champ libre à un éventuel successeur pour reprendre la place qu’elle semble elle-même abdiquer.

Dans la foulée du « lundi noir » du 12 avril, d’aucuns sont d’avis que « le français n’a plus sa place à l’Université Laurentienne » et que celle-ci « a perdu toute crédibilité auprès de la communauté franco-ontarienne ».

Le poète et dramaturge Jean‑Marc Dalpé a renoncé publiquement au doctorat honorifique que l’Université lui a décerné en 2002, annonçant au recteur Robert Haché que « la résistance ne fait que commencer ».

La Fédération de la jeunesse franco-ontarienne aussi a demandé le rapatriement à l’Université de Sudbury de tous les programmes français de l’Université Laurentienne.

Vers un réseau d’universités francophones ?

L’Université de Sudbury est déjà à l’œuvre pour préparer l’avenir du postsecondaire en français dans le Nord de l’Ontario. Le gouvernement fédéral est disposé à contribuer au financement d’une institution par et pour les francophones.

L’une des formules envisagées est l’établissement d’un réseau d’universités francophones en Ontario pour desservir les communautés francophones dans tous les coins de la province, incluant l’Université de l’Ontario français au sud, l’Université d’Ottawa dans l’est et l’Université de Hearst au nord. Cette dernière vient récemment d’obtenir son autonomie de la Laurentienne et peut désormais développer ses propres programmes et partenariats.

Pour sa part, le gouvernement de l’Ontario affirme vouloir collaborer avec le fédéral pour assurer l’accès aux études postsecondaires dans le Nord de la province, mais préfère attendre le dénouement de la restructuration.

Le 22 avril, la Cour accueille la motion de l’Assemblée de la francophonie et ordonne à l’Université Laurentienne de « mener des consultations véritables » avec l’organisme porte-parole et l’Université de Sudbury, afin d’envisager des solutions qui tiennent compte des droits linguistiques et des aspirations de la communauté franco-ontarienne.

Une communauté qui continue d’écrire son histoire

Dans son célèbre rapport de 1839 recommandant la fusion du Haut et du Bas-Canada, notamment pour accélérer l’assimilation des Canadiens-Français, Lord Durham avait dit ceci : « They are a people with no history, and no literature. » (C’est un peuple sans histoire et sans littérature).

Cette formule déplorable du Rapport Durham a trouvé son sens littéral à Sudbury le 12 avril 2021.

Le dossier évolue continuellement, mais il est raisonnable de penser que ça ne sera pas à la « Laurentian University » que s’écriront les prochaines pages de l’histoire et de la littérature franco-ontarienne.

Originellement publié le 26 avril 2021 sur Theconversation