La Loi concernant les langues autochtones, LC 2019, c 23 : un premier pas législatif vers la revitalisation des langues autochtones au Canada

Par François Larocque

Le 5 février 2019, soit une semaine après le lancement de l’Année internationale des langues autochtones de l’UNESCO, le gouvernement du Canada dépose en première lecture le projet de loi C-91 : Loi concernant les langues autochtones qui vise à soutenir la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones au Canada. À peine cinq mois plus tard, le projet de loi C-91 reçoit la sanction royale, devenant ainsi la Loi concernant les langues autochtones, LC 2019, c 23 (« LLA »). Il s’agit sans contredit d’un premier pas important pour les communautés autochtones du pays qui s’évertuent à préserver leurs langues millénaires de l’oubli. L’adoption de la LLA marque également la concrétisation d’un engagement électoral du gouvernement Trudeau.

La rapidité relative des procédures parlementaires reflète l’urgence largement ressentie face à la nécessité impérieuse de maintenir et revitaliser les langues autochtones au Canada. Ayant bénéficié de quelques bonifications textuelles en comité, il reçoit l’aval de la Chambre des communes le 9 mai 2019, date à laquelle le Sénat du Canada en fait la première lecture. Par ailleurs, le Sénat n’a pas attendu que le projet de loi C-91 franchisse la Chambre des communes pour en étudier les tenants et aboutissants. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s’est livré à une étude préliminaire du projet de loi dès le mois février 2019, qui l’a amené à entendre plus de 30 témoins experts provenant du milieu communautaire et associatif autochtone. Le Comité publie son rapport préliminaire le 30 avril 2019. Le Sénat procède à la deuxième lecture le 27 mai 2019, et renvoi le projet de loi au même comité sénatorial.  Le Sénat adopte les recommandations du comité et passe à la troisième lecture du projet de loi C-91 le 13 juin 2019. Il reçoit la sanction royale de la très honorable Julie Payette, gouverneure générale du Canada, une semaine plus tard, le 21 juin 2019.

Le Parti libéral fait de la protection des langues autochtones une priorité dès la campagne électorale de 2015. Le gouvernement s’engage derechef en 2016 de collaborer avec les peuples autochtones au Canada à l’élaboration d’un cadre législatif. En 2017, le budget consacre 89,9 millions de dollars sur trois ans à la revitalisation des langues autochtones. C’est également en 2017 que le gouvernement lance un processus de consultation sur la question, de concert avec l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis; une démarche qui se solde par la tenue d’une vingtaine de tables rondes dans tous les coins du pays et par la réception de quelques de 200 questionnaires et mémoires de groupes et d’individus intéressés.

Le 7 février 2019, lors de la deuxième lecture du projet de loi C-91, le ministre du Patrimoine canadien et du multiculturalisme du Canada, l’honorable Pablo Rodriguez, présente les objectifs et la structure de la loi proposée. Les propos du ministre Rodriguez (commençant à 1015) méritent une lecture attentive, notamment parce qu’il y brosse le sombre portrait du contexte historique ayant mené au dépôt du projet de loi C-91 et à l’urgente nécessité de l’intervention du gouvernement afin de mettre en place les conditions de possibilité à la revitalisation des langues autochtones au Canada. Voici un extrait saillant de son discours :

Avant l’arrivée des Européens, les peuples autochtones parlaient environ 90 langues. Leurs langues et leurs cultures, très vivantes, définissaient leur identité, leurs coutumes et leur spiritualité. Tout a changé lorsque les colons européens ont commencé à s’installer au pays. Un processus se résumant à l’isolement forcé et à l’assimilation s’est alors enclenché. 

Il ne faut pas sous-estimer les ravages de cette assimilation. Il s’agissait de nier sciemment l’identité d’un peuple, c’est-à-dire ses langues et ses cultures, pour lui en faire adopter une autre. Les pensionnats autochtones ont joué un rôle déterminant à cet égard. 

Le 11 juin 2008, le gouvernement du Canada a reconnu ces erreurs dans sa présentation d’excuses officielles. Voici un extrait de la déclaration :

 Le système des pensionnats indiens visait deux objectifs principaux : isoler les enfants et les soustraire à l’influence de leurs foyers, de leurs familles, de leurs traditions et de leur culture, et les intégrer par l’assimilation dans la culture dominante […] D’ailleurs, certains cherchaient, selon une expression devenue tristement célèbre, « à tuer l’Indien au sein de l’enfant ».

 Aujourd’hui, nous reconnaissons que cette politique d’assimilation était erronée, qu’elle a fait beaucoup de mal et qu’elle n’a aucune place dans notre pays.

Dans l’espace de 130 ans, plus de 150 000 enfants autochtones ont été envoyés dans des pensionnats indiens. Leurs parents, qui étaient souvent menacés d’emprisonnement, étaient forcés d’y consentir. Dans ces écoles, les enfants autochtones étaient agressés, négligés et isolés de leur culture. Ils étaient battus ou humiliés lorsqu’ils se parlaient dans leur propre langue. Beaucoup d’enfants sont devenus tellement effrayés qu’ils ont complètement arrêté de parler. Lorsqu’ils ont perdu leur langue, ils ont perdu une part d’eux-mêmes. Il s’agit d’un triste héritage et d’un sombre chapitre de l’histoire du Canada.

Cette histoire douloureuse est au cœur de la LLA et il convient d’en tenir compte en évaluant les mesures qui y sont proposées.

Les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation

Il convient également de rappeler la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) qui, dans son rapport final, lance une série de 94 Appels à l’action. La LLA entend répondre directement aux appels no13, 14 et 15 de la CVR qui portent spécifiquement sur la question de la revitalisation des langues autochtones.

  1. Nous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître que les droits des Autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones.
  2. Nous demandons au gouvernement fédéral d’adopter une loi sur les langues autochtones qui incorpore les principes suivants

i) les langues autochtones représentent une composante fondamentale et valorisée de la culture et de la société canadiennes, et il y a urgence de les préserver;

ii) les droits linguistiques autochtones sont renforcés par les traités;

iii) le gouvernement fédéral a la responsabilité de fournir des fonds suffisants pour la revitalisation et la préservation des langues autochtones;

iv) ce sont les peuples et les collectivités autochtones qui sont les mieux à même de gérer la préservation,

v) la revitalisation et le renforcement des langues et des cultures autochtones;

vi) le financement accordé pour les besoins des initiatives liées aux langues autochtones doit refléter la diversité de ces langues.

15. Nous demandons au gouvernement fédéral de nommer, à la suite de consultations avec les groupes autochtones, un commissaire aux langues autochtones. Plus précisément, nous demandons que ce commissaire soit chargé de contribuer à la promotion des langues autochtones et de présenter des comptes rendus sur l’efficacité du financement fédéral destiné aux initiatives liées aux langues autochtones.

Il ressort clairement des propos du ministre Rodriguez (voir 1025 et 1035) et du premier paragraphe du préambule du projet de la LLA que l’intention du législateur est de donner suite aux appels à l’action de la CVR.

Voyons maintenant les grandes lignes de la LLA.

Le préambule

Le préambule d’une loi « fait partie du texte et en constitue l’exposé des motifs » : Loi d’interprétation, art 13. Selon la professeure Ruth Sullivan, le préambule d’une loi peut « [traduction] préciser directement son objet ou faire état des circonstances qui ont mené à son adoption — les maux auxquels le législateur voulait s’attaquer, les problèmes sociaux qu’il entendait régler » : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e, Markham, LexisNexis, 2008 à la p 271.

À cet égard, les 18 paragraphes préambulaires de la LLA en disent long sur sa raison d’être. On y retrouve par exemple des références explicites à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; aux ravages assimilateurs du colonialisme et des pensionnats autochtones; à l’importance des langues autochtones au regard de l’identité autochtone, du lien avec la terre, de la culture, de la spiritualité et de l’autodétermination. Le projet de loi reconnait par ailleurs « que les efforts visant à protéger la vitalité des langues autochtones peuvent non seulement contribuer à enrichir les connaissances autochtones mais également à prévenir l’érosion de la diversité culturelle ou la perte de biodiversité ou de spiritualité. »

Outre ces prolégomènes historiques et sociologiques, le préambule de la LLA annonce le principe fondamental qui sous-tend la démarche du gouvernement du Canada, à savoir qu’il appartient aux peuples autochtones eux-mêmes de jouer le rôle de premier plan dans la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement de leurs langues. Le rôle du gouvernement, pour sa part, est de soutenir les communautés et les entités intéressant en leur garantissant « un financement adéquat, stable et à long terme ».

Le ministère responsable

Certains choix législatifs méritent d’être soulignés. Par exemple, on sait que l’administration de la loi est confiée au ministre du Patrimoine canadien et du multiculturalisme et non à l’un des deux autres ministères chargés des affaires autochtones (i.e. le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord et le ministère des Services aux Autochtones). Il s’agit sans doute d’un choix salutaire étant donné que le ministère qui les a précédés a contribué de manière appréciable, par le truchement de politiques colonialistes, discriminatoires et liberticides à l’érosion linguistique et culturelle des peuples autochtones au Canada. Voir à cet égard les conclusions de la CVR (Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir, Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation, aux pages 83-87) ou encore celles du Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, aux paragraphes 106-107). Dans l’esprit du renouvellement des rapports entre le gouvernement canadien et les peuples autochtones, il est sans doute sage de ne pas confier la revitalisation des langues autochtones au ministère fédéral qui, historiquement, s’était donné pour mission de les faire taire à jamais.

Bien que le ministère du Patrimoine canadien ait récemment été déchargé de son mandat afférent aux langues officielles, il y subsiste vraisemblablement une certaine expertise interne en matière de promotion et de valorisation linguistique qui informera (peut-on l’espérer) sa surintendance de la LLA. Quoi qu’il en soit, il n’était pas indiqué de confier l’administration de cette loi au tout nouveau ministère du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. La lettre de mandat de la ministre Joly est effectivement silencieuse sur la question des langues autochtones et le LLA ne confère pas aux langues autochtones le statut de langues officielles.

Il appartient donc au ministre du Patrimoine de veiller à la mise en œuvre de la loi par l’entremise de la collaboration intergouvernementale et de la consultation auprès des communautés autochtones. L’article 7 exige du ministre du Patrimoine qu’il « consulte divers gouvernements autochtones et autres corps dirigeants autochtones ainsi que divers organismes autochtones en vue d’atteindre l’objectif d’octroyer un financement adéquat, stable et à long terme en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones. »  Les articles 8, 9 et 10, de leur côté, encadrent le pouvoir du ministre de conclure des ententes et des accords avec tous les ordres gouvernementaux intéressés, « aux fins notamment de la fourniture, dans une langue autochtone, de programmes et de services en ce qui a trait à l’éducation, la santé et l’administration de la justice ». La LLA n’est donc pas limitée au financement de cours de langues ou à la création de lexiques; elle envisage la mise en œuvre de programmes et de services gouvernementaux dans les langues autochtones. La LLA reconnait ainsi que la revitalisation et la réappropriation des langues autochtones exigent que celles-ci ne soient plus confinées à la sphère privée, familiale et folklorique, mais plutôt qu’elles soient invitées à prendre leur place, avec dignité et respect, dans la sphère publique canadienne. Au-delà des obligations fiduciales habituelles de la Couronne à l’égard des peuples autochtones, il est possible que les articles 7 à 10 de la LLA astreignent le ministre à une norme de conduite spéciale dans la coordination de mesures adéquates et efficaces, aptes à favoriser l’objet de la loi.

Bien que la LLA soit silencieuse quant aux ressources financières qui seront consacrées à ces mesures, le budget de 2019 prévoit l’investissement de 333,7 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2019-2020, puis de 115,7 millions de dollars par année par la suite, « [p]our appuyer la mise en œuvre de la Loi concernant les langues autochtones proposée» : Investir dans la classe moyenne, Le budget de 2019, à la p 166.

Des droits linguistiques latents ayant un fondement constitutionnel et international

Bien que la LLA n’élève pas les langues autochtones au rang privilégié des langues officielles du Canada, elle établit les balises juridiques pouvant mener éventuellement à une telle canonisation. À cet égard, l’article 6 est capital :

Recognition by Government of Canada 6 The Government of Canada recognizes that the rights of Indigenous peoples recognized and affirmed by section 35 of the Constitution Act, 1982include rights related to Indigenous languages.Reconnaissance 6 Le gouvernement du Canada reconnaît que les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comportent des droits relatifs aux langues autochtones.

Par l’entremise de cette disposition, le parlement codifie la reconnaissance du gouvernement de l’existence de droits linguistiques autochtones et de leur fondement constitutionnel et, du coup, donne raison aux commentateurs qui avaient fait valoir l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comme base juridique éventuelle des droits linguistiques autochtones. Voir notamment Gabriel Poliquin, « La protection d’une vitalité fragile : les droits linguistiques autochtones en vertu de l’article 35 » (2013) 58:3 RD McGill 573.

Il sied de le souligner : la LLA ne crée aucuns droits linguistiques comme tels. Ceux-ci demeurent à l’heure actuelle en état de latence. L’article 6 encadrera l’émergence et l’évolution d’une nouvelle catégorie de droits linguistiques fondée, non pas sur un quelconque « compromis politique » entre puissances colonisatrices (comme c’est le cas pour le français et l’anglais), mais plutôt sur la reconnaissance et la valorisation constitutionnelle des pratiques culturelles ancestrales des collectivités autochtones. Il reste à voir cependant si les tribunaux assujettiront la reconnaissance éventuelle des droits linguistiques spécifiques sous l’égide de l’article 35 aux critères issus de la progéniture jurisprudentielle de l’affaire R c Sparrow1990 CanLII 104 (CSC) et R c Van der Peet1996 CanLII 216 (CSC) ou, plutôt, s’ils adopteront une approche distincte et adaptée au contexte linguistique.

Quelle que soit leur démarche, les tribunaux devront tenir compte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA) qui reconnaît entre autres le droit des peuples autochtones « de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature» (article 13), et le droit « le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage » (article 14). Bien que l’adhésion du Canada à la DDPA se soit fait attendre, celle-ci semble vouée à jouer un rôle important dans la reconnaissance des droits linguistiques autochtones au Canada. La Chambre des communes était disposée à réifier cette éventualité lorsqu’elle a adopté le projet de loi C-262 : Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce projet de loi incorpore le texte de la DDPA en droit canadien et exige du gouvernement du Canada qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer l’harmonie des lois fédérales (incluant la LLA) avec la DDPA. Malheureusement, le projet de loi C-262 est mort au feuilleton le 20 juin 2019 après la 2e lecture au Sénat.

Commissaire aux langues autochtones

La pièce maîtresse de la LLA est sans contredit la création du Bureau du commissaire aux langues autochtones. Le projet de loi consacre trente-sept (37) de ses cinquante-deux (52) articles à la constitution du Bureau du commissaire aux langues autochtones et du poste de commissaire aux langues autochtones. Aux termes de l’article 23 de la LLA, le Bureau a pour mission de :

a) de contribuer à la promotion des langues autochtones;

b) de soutenir les peuples autochtones dans leurs efforts visant à se réapproprier les langues autochtones et à les revitaliser, les maintenir et les renforcer;

c) de faciliter le règlement de différends et d’examiner les plaintes, dans la mesure prévue par la présente loi;

d) de promouvoir la sensibilisation du public et une meilleure compréhension, au sein de celui-ci, en ce qui a trait :

i) à la diversité et à la richesse des langues autochtones,

ii) aux liens étroits et indissociables unissant ces langues et les cultures des peuples autochtones,

iii) aux droits des peuples autochtones relatifs aux langues autochtones,

iv) à l’importance de ces droits pour les peuples autochtones et pour le grand public,

v) aux répercussions négatives de la colonisation et des politiques gouvernementales discriminatoires sur ces langues, ainsi que sur l’exercice de ces droits,

vi) à l’importance d’œuvrer et de contribuer à la réconciliation avec les peuples autochtones;

e) d’appuyer, en collaboration avec les gouvernements autochtones et autres corps dirigeants autochtones, les organismes autochtones et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, des projets novateurs et l’utilisation de nouvelles technologies dans le cadre de l’enseignement et de la revitalisation des langues autochtones.

De manière plus concrète, en vertu de l’article 25 de la LLA, le Bureau peut appuyer une collectivité ou un gouvernement autochtone dans ses efforts visant la réappropriation, la conservation et le renforcement d’une langue autochtone, notamment par :

a) la création de documents permanents — notamment des enregistrements audio ou vidéo et des ouvrages tels des dictionnaires, des lexiques et des grammaires — favorisant, entre autres, le maintien et la transmission de cette langue;

b) l’établissement de normes de certification pour les traducteurs et les interprètes;

c) les recherches et les études concernant l’usage de cette langue et l’évaluation de son usage au sein de la collectivité;

d) la préparation et la mise en œuvre de plans visant la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement de cette langue;

e) les démarches auprès des gouvernements fédéral et provinciaux ou territoriaux en vue d’établir des méthodes d’enseignement et d’apprentissage de cette langue qui soient culturellement appropriées.

En fournissant un tel appui, il semblerait que le Bureau soit appelé à jouer pour l’ensemble des collectivités autochtones du Canada un rôle similaire à celui de l’Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtiit, constitué aux termes de la partie 2 de la Loi sur la protection de langue inuit du Nunavut.

Enfin, par l’entremise de ses rapports annuels, le Bureau est également chargé d’informer le Parlement de l’état des langues autochtones, des besoins des collectivités autochtones en matière de réappropriation linguistique, de l’efficacité du financement fédéral octroyé pour les projets en matière de langues autochtones et, de manière plus générale, de la mise en œuvre la LLA.

Pour sa part, le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil à titre inamovible pour un mandat renouvelable de 5 ans, sur recommandation du ministre du Patrimoine, faite après avoir consulté divers gouvernements et associations autochtones. Le commissaire est le premier dirigeant du Bureau et il se charge de toute question administrative qui en découle.

Toutefois, outre son titre, le commissaire aux langues autochtones a très peu en commun avec les autres commissaires linguistiques du pays, dont le commissaire aux langues officielles du Canada ou du Nouveau-Brunswick, ou même les commissaires aux langues du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest.  (Voir généralement F. Larocque, “Of Tongues and Teeth: The Enforcement Powers of Canada’s Language Commissioners” dans H. Ammon and E. James (dir.), Language Ombudsmen and Minority Protection, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2019, pp 71-100.) Bien qu’il jouisse d’une certaine indépendance en raison de son inamovibilité, le commissaire aux langues autochtones n’est pas un officier autonome de la législature; il se rapporte au ministre du Patrimoine et non au Parlement du Canada. Certes, il peut recevoir des plaintes provenant des collectivités et gouvernements autochtones en lien avec le fonctionnement du Bureau ou de la loi et faire les recommandations qu’il estime indiquées à l’égard de ces plaintes, le commissaire aux langues autochtones ne possède toutefois aucun pouvoir d’enquête semblable à ceux des autres ombudsmans linguistiques du Canada. Son rôle, au final, consiste à appuyer les collectivités autochtones dans leurs démarches respectives et à assurer la bonne administration du bureau.

À ce sujet, il est étonnant de constater à quel point la LLA codifie en détail les obligations de comptabilité et de reddition de compte du Bureau du commissaire aux langues autochtones (voir articles 31 à 42). Aucun autre bureau ou commissariat linguistique du Canada n’est assujetti à une telle microgestion légiférée. La transparence administrative est toujours souhaitable, certes, mais il y a lieu de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle approche tutélaire à l’égard d’une institution vouée à la promotion des intérêts des peuples autochtones. Ces dispositions ont quelque chose de paternaliste. Elles détonnent dans un projet de loi qui se veut ostentatoirement axé sur la réconciliation et la décolonisation.

Conclusion

Le 3 juin 2019, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées présente son rapport final aux représentants du gouvernement fédéral lors d’une cérémonie au Musée canadien de l’histoire à Gatineau. Le rapport identifie les causes systémiques de toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles autochtones au Canada. L’importance colossale de l’œuvre de l’Enquête nationale ne saurait être surestimée. Or, le rapport final comprend entre autres 231 appels à la justice, dont certains portant directement sur les langues autochtones et les mesures qu’il convient de prendre afin de les sauvegarder et de réduire les barrières sociales auxquelles font face les femmes et les filles autochtones. À ce sujet, les auteurs du rapport recommandent ce qui suit :

2.1       Nous demandons à tous les gouvernements de reconnaître les droits des peuples autochtones à leurs cultures et à leurs langues en tant que droits inhérents et protégés constitutionnellement en tant que tels en vertu de l’article 35 de la Constitution et d’assurer cette protection.

2.2       Nous demandons à tous les gouvernements de reconnaître les langues autochtones comme langues officielles, et de veiller à ce qu’elles bénéficient du même statut et des mêmes protections que le français et l’anglais, en suivant les directives suivantes :

i. Les gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux doivent légiférer pour que les langues autochtones soient reconnues comme langues officielles dans leur territoire respectif;

ii. Tous les gouvernements doivent accorder du financement aux peuples autochtones à l’appui des efforts requis pour rétablir et revitaliser les cultures et les langues autochtones.

Manifestement, la LLA ne constitue pas une réponse aux appels à la justice ambitieux de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, bien qu’elle réponde de manière appréciable aux appels à l’action no 13, 14 et 15 de la CVR et contribue indéniablement à la mise en œuvre de DDPA en ce qui a trait aux langues autochtones.

La LLA marque un premier législatif important qui, sans codifier ou garantir des droits linguistiques autochtones spécifiques, énonce les prémisses juridiques qui étayeront leur reconnaissance éventuelle. Autrement dit, la LLA n’est pas le pendant autochtone de la Loi sur les langues officielles fédérale ou néo-brunswickoise, ni même de la Loi sur les services en français ontarienne. Sa vocation est plus administrative que substantive, mais cela ne diminue en rien son importance dans le contexte actuel. En collaboration avec les peuples autochtones, le Canada doit impérativement mettre en place les conditions qui favoriseront la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement de leurs langues. La LLA établit un cadre administratif pour soutenir les collectivités autochtones dans cette démarche fondamentalement existentielle.

Je conclus en soulignant et en saluant une initiative récente de la Cour fédérale du Canada qui s’engage à devenir plus accessible aux justiciables autochtones. En plus d’adapter sa procédure et ses audiences de sorte à ménager un espace pour les protocoles et les traditions juridiques autochtones, le 24 mai 2019, la Cour fédérale a publié sa décision dans l’affaire Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray accompagnée d’un sommaire écrit et lu oralementdans les langues autochtones concernées, le déné et le cri en l’occurrence. Elle a répété l’exploit le 12 juin 2019 dans l’affaire Jim Shot Both Sides et al c Sa Majesté la Reine, cette fois en publiant le sommaire oral de sa décision en pied-noir. Ce sont des premières au Canada. Bien que de telles initiatives soient expressément prévues à l’article 11 de la LLA, la Cour fédérale fait preuve d’un leadership exemplaire.

Originalement publié le 7 août 2019 sur Juriblogue.ca