26 Mai La réforme de la gouvernance scolaire au Québec envoie un mauvais message aux minorités linguistiques au pays
Avant la pandémie de Covid-19, le Québec a opéré en début d’année la plus grande réforme de son milieu d’éducation depuis la création des commissions scolaires linguistiques françaises et anglaises par le gouvernement de Lucien Bouchard en 1998. Sans même scruter l’étendue des pouvoirs qui seront dévolus aux nouveaux « centres de service », la nouvelle loi suscite de sérieuses questions, notamment par la manière dont elle aménage la participation aux élections scolaires pour les membres de la minorité.
La nouvelle loi abolit les élections scolaires dans le secteur francophone. Du côté de la minorité anglophone, elles sont maintenues mais considérablement transformées : des exigences limitent l’éligibilité des candidats à quelques poignées de personnes intéressées, sans pour autant garantir que celles-ci soient plus qualifiées ou aptes à gouverner les écoles de la communauté.
L’objet de la réforme est de décentraliser la prise de décisions en donnant davantage de pouvoirs aux écoles et aux familles. De plus, selon le gouvernement, l’abolition des élections scolaires permettra à la province de réaliser des économies de 10 millions de dollars par année.
Un processus électoral complexe
Dorénavant, rares seront les Québécois anglophones qui pourront se présenter aux élections scolaires. S’ils ne sont pas parmi les quelques parents ayant déjà accepté de siéger au conseil d’établissement de l’école de leur propre enfant, les futurs commissaires élus du système anglophone devront posséder soit un profil particulier (par exemple, être issu du milieu communautaire, culturel, municipal, sportif ou des affaires), une expertise spécifique (par exemple, en matière de finance, d’éthique, de gestion de risque, de ressources humaines), ou être employés dudit système (ce qui risque de les placer en conflit d’intérêts). Aussi, au moins une personne devra être âgée entre 18 et 35 ans.
Rappelons que ce travail n’est pas rémunéré. Il y a donc lieu de se demander pendant combien de temps la communauté anglophone pourra compter sur l’altruisme de parents bénévoles, tenus de cumuler les postes de commissaire et de membre du conseil d’établissement de l’école de leur enfant.
Enfin, la nouvelle loi complique considérablement le processus électoral : les électeurs des commissions scolaires anglophones devront désormais élire entre 4 et 13 représentants ayant les profils décrits plus haut. Il est pensable que les bulletins de vote, désormais plus longs et plus complexes, risquent de rebuter et dissuader plus d’un électeur.
Or, le taux de participation aux élections scolaires au Québec est déjà très faible, surtout du côté de la majorité. Par exemple, en 2014, moins de 4,29 % des électeurs francophones se sont présentés aux urnes. En revanche, le taux de participation dans le réseau anglophone se chiffrait à 17,26 % durant le même cycle électoral. Cela n’a rien d’étonnant puisque, comme la Cour suprême du Canada l’a déjà reconnu dans l’arrêt Mahé c Alberta en 1990, les écoles jouent un rôle fondamental pour les minorités de langues officielles, leur servant notamment de centres communautaires. Autrement dit, l’enjeu de la participation électorale se pose différemment en milieu minoritaire.
Une réforme dangereuse pour les minorités
La possibilité que les nouvelles réformes sapent la participation communautaire est problématique. En tant que professeurs de droits linguistiques et des minorités, cette réforme nous étonne parce qu’elle ne semble pas tenir compte de l’expérience durement acquise des communautés francophones minoritaires hors Québec et de la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada.
Rappelons que les anglophones au Québec bénéficient de droits constitutionnels en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, droits qui sont également garantis aux francophones et aux Acadiens ailleurs au Canada. Or, l’expérience démontre que la participation communautaire est au cœur même de la gouvernance scolaire en situation minoritaire, que ce soit dans le West Island, à Calgary ou à Moncton.
Peu importe les avis de chacun sur le bien-fondé de cette réforme d’un point de vue de politique publique, la Cour suprême du Canada a reconnu à maintes reprises que l’article 23 de la Charte garantit aux communautés francophones et acadiennes hors Québec un degré de contrôle sur l’instruction qui s’est avéré fondamental pour leur survie. Les parents de la minorité anglophone du Québec bénéficient également des protections de l’article 23. À notre avis, la nouvelle loi québécoise soulève des questions sérieuses quant à sa constitutionnalité qui méritent d’être élucidées.
Qu’en dira la Cour d’appel du Québec ?
Même si la loi a reçu la sanction royale le 8 février dernier, il n’est pas trop tard de soumettre la question de sa constitutionnalité à la Cour d’appel du Québec.
En vertu des règles de procédures civiles du Québec, seul le gouvernement peut poser un tel geste. D’autres provinces ont sollicité l’avis de leur cour d’appel avant d’adopter des mesures touchant aux droits scolaires constitutionnels de leurs minorités francophones. À titre d’exemple, en 1984, la Cour de l’appel de l’Ontario a validé la constitutionnalité d’une série de réformes proposée à la loi d’éducation de cette province dans le cadre du célèbre renvoi Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights.
Dans le sillon de la crise du coronavirus, il y a lieu de se demander si les élections scolaires auront lieu, comme prévu, en novembre 2020. Il nous semble donc opportun et utile que le Québec obtienne l’avis de sa cour d’appel quant à la constitutionnalité d’une loi qui modifie si fondamentalement les structures de gestion des écoles de la minorité anglo-québécoise.
Sinon, les risques sont élevés que des parents de la minorité ou des associations qui les représentent contestent eux-mêmes cette loi devant les tribunaux du Québec, entraînant des délais, des coûts, de la confusion dans la mise en œuvre des droits, ainsi que des débats stériles.
L’auteur remercie ses collègues les professeurs Pierre Foucher (uOttawa), Erik Labelle Eastaugh (uMoncton, Directeur de l’observatoire international des droits linguistiques) et Robert Leckey (doyen, Faculté de droit, McGill) pour leurs idées et suggestions.
Originellement publié le 26 mai 2020 sur Theconversation