Le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être bilingue : suites de la décision La société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick c Le très honorable premier ministre du Canada

Par Camille Bontems, étudiante au PCLF de l’Université d’Ottawa et titulaire du CAPA (France).

Le 14 avril 2022, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, sous la plume de la juge en chef Tracey K. DeWare, a tranché que « le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être bilingue et capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en anglais et en français »[1].

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick avait contesté devant la Cour la constitutionalité de la nomination de la lieutenant-gouverneur Brenda Murphy, unilingue anglophone. Elle est, à notre connaissance, la deuxième lieutenant-gouverneur du Nouveau Brunswick non bilingue nommée depuis 1993.

Ottawa a fait appel de la décision; la mise au rôle devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick est prévue au mois de juin 2023. Selon le gouvernement fédéral, la Constitution n’impose pas que les personnes nommées lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick maîtrisent les deux langues officielles, et la juge en chef DeWare n’était en tout état de cause pas compétente pour examiner cette question relevant de la sphère politique.

Cette position est critiquable tant sur le plan politique que juridique. Le Nouveau-Brunswick est la seule province canadienne dont le bilinguisme est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés[1] et à reconnaître constitutionnellement un statut, des droits et des privilèges égaux aux communautés de langue anglaise et française[2]. L’analyse des obligations en matière de bilinguisme institutionnel dans cette province doit tenir compte de ces circonstances particulières.

À notre avis, la juge en chef DeWare parvient à une conclusion équilibrée, en respectant la nature institutionnelle du bilinguisme d’État, tout en soulignant le statut très particulier du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, qui justifie que cette obligation lui soit imposée personnellement[1].

En outre, la juge en chef maintient l’équilibre entre les pouvoirs en reconnaissant l’obligation constitutionnelle de nommer une personne bilingue[1] sans pour autant invalider la nomination de Brenda Murphy[2]. Cette réparation prospective laisse les mains libres à Ottawa pour déterminer les actions à venir. Elle préserve également l’ordre juridique du Nouveau-Brunswick – annuler la nomination invaliderait les lois et règlements auxquels Brenda Murphy a accordé la sanction royale, résultant en un vide juridique –, en conformité avec le principe constitutionnel de la primauté du droit tel que consacré dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba.

Ce n’est enfin pas la première fois que les tribunaux estiment que l’exécutif n’est pas à l’abri d’un contrôle constitutionnel, même lorsqu’il exerce des prérogatives particulières.

L’enjeu est important pour Ottawa. Si la décision de la juge en chef DeWare devait être confirmée en appel (voire ensuite par la Cour suprême), le gouvernement fédéral aura beaucoup de difficultés à déroger à l’obligation de nommer des personnes bilingues. En effet, les droits linguistiques sont à l’abri de la clause dérogatoire de l’article 33 de la Charte. Le seul moyen de les limiter est de justifier l’atteinte sous l’article premier, ce qui peut s’avérer difficile. Le Gouvernement ne l’a d’ailleurs même pas tenté dans cette instance[1].   

Cette controverse n’a pas que des effets judiciaires; elle est aussi source de discussions sur la colline. En décembre 2021, le sénateur Claude Carignan a déposé au Sénat un projet de loi, actuellement en deuxième lecture, visant à consacrer le bilinguisme du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick dans Loi sur les compétences linguistiques. La question fait également l’objet de discussions[1] dans le cadre du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

De son côté, le gouvernement fédéral se montre réticent à légiférer, au motif qu’imposer le bilinguisme exigerait une modification constitutionnelle. Cet argument nous parait toutefois difficile à tenir. En effet, en matière de langues officielles, le paragraphe 16(3) de la Charte dispose que « la [Charte] ne limite pas le pouvoir du Parlement […] de favoriser la progression vers l’égalité de statut […] du français et de l’anglais ».

En outre, dans l’arrêt Jones c PG du Nouveau-Brunswick de 1975, à propos de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour suprême du Canada a considéré qu’il n’y avait rien « dans [la Loi constitutionnelle de 1867] […] qui empêche l’octroi de droits ou privilèges additionnels ou l’imposition d’obligations additionnelles relativement à l’usage de l’anglais et du français »[1] tant que la législature en cause intervenait dans son champ de compétence. Or, quoi de plus important pour le statut de ces deux langues, et de l’identité culturelle[2] qui leur est associée, que leur représentation au sommet de l’État?

Pourtant, Ottawa a annoncé accepter le principe d’un lieutenant-gouverneur bilingue au Nouveau-Brunswick et s’est engagé à ce que la prochaine personne nommée à ce poste maîtrise les deux langues officielles. Une solution en demi-teinte, qui rappelle les engagements sur le bilinguisme des juges de la Cour suprême. Cette option nous parait fort peu satisfaisante, car l’engagement du gouvernement pourrait facilement être remis en cause en cas de changement de majorité.

Il nous faut maintenant attendre (avec impatience!) la décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick et l’évolution des débats parlementaires, en espérant que la jurisprudence et/ou la loi viendront sécuriser encore les droits de la minorité linguistique du Nouveau-Brunswick.


[1] Voir aux pp 192-193.

[2] Voir au para 40.

[1] Voir à la p 13 (1700).

[1] Au para 64.

[1] Au para 63.

[2] Aux para 71–73.

[1] Aux para 59, 62.

[1] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, au para 16(2).

[2] Ibid au para 16.1(1).

[1] Au para 76(i).

[1] 2022 NBBR 85.