Les régimes linguistiques en matière de la Francophonie des provinces des Prairies : un aperçu comparatif et critique – l’Alberta

 Par: Brenna Haggarty, BA, (@BrennaHaggarty) candidate au JD 2022, Université de Calgary et à la Certification de common law en français de l’Université d’Ottawa.

Ce billet de blogue est le premier d’une série de trois qui examineront les régimes linguistiques de l’Ouest canadien, plus particulièrement les provinces des Prairies. Ce premier commentera le paysage juridique et politique de l’Alberta et les deux billets de blogue suivants traiteront de la Saskatchewan et du Manitoba.  
L’objectif de cette série est de souligner les différences entre les lois et politiques linguistiques des provinces des Prairies, et de montrer dans quelle mesure ces provinces traitent la protection des droits linguistiques. Bien que la Loi sur les Langues officielles fédérale stipule que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada, et ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement canadien, les provinces ne sont pas liées par ces mêmes exigences.1 Les politiques et les régimes législatifs linguistiques provinciaux et territoriaux du Canada varient d’une province et d’un territoire à l’autre. Cette variation a un impact direct sur la population francophone de chaque province et territoire du Canada. Ces politiques déterminent quels services sont offerts en français et dans quelle mesure ces services sont requis, ainsi que de la qualité attendue. L’accès aux services en français n’est donc pas uniforme à travers le pays. Il est à noter que la Colombie-Britannique n’a pas de politique en matière de la francophonie, ce qui témoigne du manque de standardisation des politiques et lois linguistiques à travers le Canada.  

En Alberta, la communauté francophone est dispersée à travers la province. À cause de cette configuration démographique, les Franco-Albertains ont des centres culturels moins définis par rapport à d’autres provinces, comme le Manitoba. Malgré cela, la population francophone de l’Alberta est en croissance. En effet, Statistique Canada a prévu en 2017 que la croissance la plus importante de la population francophone se produirait en Alberta et dans les territoires. D’ici 2036, on prévoit une croissance entre 25% et 50%.2 Cette croissance provoquera certainement une augmentation des demandes de services en français dans la province, incluant l’éducation en français et en immersion française.  

Le gouvernement albertain a adopté la Politique en matière de francophonie (la « Politique albertaine ») en 2017 dans le but d’aider les ministères à améliorer leurs services en français et d’appuyer la vitalité de la francophonie en Alberta (p. 4).3 La Politique albertaine s’applique à l’ensemble des ministères, des agences, des conseils et des commissions du gouvernement de l’Alberta. Elle réitère que l’Alberta n’est pas une province bilingue, mais que cette politique vise à prendre en compte les besoins de la communauté francophone en Alberta. D’après la Politique albertaine, le gouvernement s’engage à améliorer les services en français d’une manière ciblée et durable, mais seulement en fonction des ressources disponibles. En fait, la Politique albertaine comprend plusieurs rappels que l’Alberta n’est pas assujettie à la Loi sur les langues officielles fédérale et que les services offerts par le gouvernement albertain en français sont proposés volontairement et non pas en vertu d’une quelconque obligation légale (p. 3). 

Nonobstant la nature purement volontaire de cette politique, la Politique albertaine comprend quelques initiatives importantes. Par exemple, toute correspondance reçue en français au niveau ministériel doit recevoir une réponse en français (p. 7).  De plus, la Politique exprime l’intention d’embaucher davantage de candidats parlant français dans des postes à responsabilités ce qui augmentera l’accès aux services ainsi que l’utilisation de ces services (p. 8).  

Bien que la Politique albertaine contienne certaines sections importantes, elle manque de clarté et d’intelligibilité sur la manière dont les objectifs décrits seront réellement atteints. Par exemple, la Politique fait référence à de grandes propositions visant à reconnaître et à valoriser l’histoire des Franco-Albertains et à revitaliser la francophonie dans la province, mais ne comprend pas de plan d’action. La Politique albertaine contient beaucoup de langage fleuri qui se résume souvent à des objectifs nébuleux (p. 4). Une précision absolue n’est pas attendue, mais une interprétation commune par les diverses agences gouvernementales est nécessaire pour que ces agences puissent exécuter leurs fonctions en vertu des objectifs contenues dans la Politique.  

De plus, en ce qui concerne la reconnaissance des contributions sociales, économiques et culturelles de la population francophone, la seule initiative citée dans la Politique albertaine est les Rendez-vous de la Francophonie organisés chaque année en mars (p. 5). Cette tradition est toutefois bien antérieure à cette Politique. Bien qu’une initiative qui promeut les symboles et les gestes de la francophonie est importante afin d’accroître la sensibilisation générale à la présence des populations francophones en Alberta, la Politique manque de sérieux en ce qui concerne l’augmentation des services concrets. Même si la Politique soutient cet événement culturel, en réalité, elle ne fait simplement que reconnaître officiellement un événement qui est déjà bien établi.  

Une autre initiative à la fois louable et problématique de la Politique albertaine est celle de l’offre active (p. 6). L’offre active consiste à saluer le public dans les deux langues officielles afin de faire comprendre aux individus qu’ils ont le droit d’utiliser la langue officielle de leur choix.  Quoi qu’il s’agisse d’un objectif important, Graham Fraser a indiqué que dans le contexte des institutions fédérales, l’accueil bilingue a été efficace dans certains cas, mais « dans d’autres cas, l’effet des mesures a été temporaire ou n’a pas été apparent ».4 Même si les intentions d’une politique peuvent être excellentes, c’est dans sa mise en œuvre que le véritable changement peut se produire. La Politique albertaine a beau stipuler que l’offre active est un objectif du gouvernement, mais il incombe à chaque ministère, conseil, commission et agence de s’assurer que leurs employés respectent effectivement les intentions et l’esprit de la Politique. Bien qu’il s’agisse d’une bonne initiative, les responsables de la mise en œuvre de la Politique doivent s’assurer que non seulement les individus sont accueillis dans les deux langues, mais que les franco-albertains ont la possibilité d’accéder à des services en français lorsqu’ils sont accueillis ou qu’il y a des personnes qui peuvent véritablement dialoguer en français d’une manière significative. 

Somme toute, la Politique albertaine rend hommage à l’histoire de la francophonie en Alberta (p. 1) et fait de grandes promesses pour renforcer le sentiment d’appartenance à la province et accroître la vitalité de la population, mais elle manque au final de certitude et d’intelligibilité (p. 3). C’est indéniablement un pas dans la bonne direction que l’Alberta se soit dotée de cette Politique et du Secrétariat francophone, mais les politiques ne sont pas contraignantes et n’engagent en rien le gouvernement provincial. Une loi conférant certains droits et privilèges permettrait de mieux atteindre les objectifs que la Politique se propose de réaliser. De plus, une loi représenterait un engagement plus durable et plus sérieux envers la population franco-albertaine.