L’instruction dans la langue de la minorité pour les non citoyens : piste et réflexion d’une revendication constitutionnelle

Par : Malorie Kanaan, titulaire d’une Licence en droit civil et d’un Juris Doctor de l’Université d’Ottawa, étudiante à la maîtrise en Droit et justice sociale.

En septembre 2021, la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest a jugé que la ministre de l’Éducation des TNO avait le droit de refuser, à des élèves pour la plupart plus à l’aise à recevoir une éducation en français, l’instruction dans cette langue puisque leurs parents non citoyens ne répondent pas aux critères établis par l’article 23 de la Charte canadienne. Malgré l’interprétation large et libérale des protections constitutionnelles linguistiques, je suis d’avis qu’une telle directive viole l’article 7 de la Charte canadienne. Ces prochaines lignes défricheront un argumentaire créatif pour les non citoyens visés par la décision A.B. sans prétendre qu’il adresse toutes les complexités d’une telle revendication.

Le droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte a été interprété dans l’affaire Godbout comme protégeant les individus contre toute ingérence de l’État sur des décisions extrêmement personnelles ou qualifiées de fondamentales pour un individu. En l’espèce, une municipalité ne pouvait pas imposer des limites spatiales quant au choix de résidence de ses employés puisque la liberté « s’étend au droit à une sphère irréductible d’autonomie personnelle où les individus peuvent prendre des décisions intrinsèquement privées sans intervention de l’État » (para 66). Également, la plus haute cour du pays a reconnu le caractère fondamental que revêtent les choix des parents quant au développement et à l’éducation d’un enfant dans l’affaire B. (R.)  Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto. De ce fait, si la portée de l’article 23 est collective, l’article 7 contient une portée individuelle qui reflète des choix excessivement personnels d’un foyer à l’autre du pays. Pour sa part, le  droit international, qui est un moyen d’interprétation persuasif, reconnaît le caractère individuel qu’est la langue ainsi que la nécessité que l’État veille à l’intégration des membres linguistiques minoritaires dans ses communautés par le biais d’obligations positive.

Bien qu’il ait été reconnu qu’il n’existe aucune hiérarchie des dispositions constitutionnelles et que tout argument quant à l’instruction d’un enfant débute par l’article 23, les non citoyens des Territoires Du Nord-Ouest sont exclus de toutes protections constitutionnelles sous ce libellé. En revanche, force est de constater l’évolution fulgurante du nombre de non citoyens installés au Canada depuis la rédaction de la Charte canadienne. Avant 1981, ils représentaient un peu plus de 150 000 individus sur le territoire canadien, alors qu’ils étaient près d’un million lors du dernier recensement.

Nous souscrivons à la préoccupation réitérée par la Cour suprême selon laquelle les écoles minoritaires pourraient devenir des centres d’assimilation avec une politique de libre accès. Or, il n’est pas question de libre accès si des individus non citoyens, aux compétences linguistiques adéquates et intégrés dans la communauté culturelle minoritaire, n’ont aucun choix, mais surtout, aucun droit. La professeure Anne Levesque expliquait récemment que l’anglonormativité doit plutôt être à la souche du combat contre l’assimilation. Elle décrit notamment ce concept comme la « domination systémique de l’anglais dans un espace qui marginalise ceux qui ne sont pas anglophones ou anglophiles ». Nous ajoutons que dans ce contexte, la ministre fait preuve d’anglonormativité. Notamment, elle juge faussement que la communauté franco-ténoise est en pleine revitalisation et croissance et met à l’écart des enfants pour la plupart ancrés dans la culture et la langue francophone de recevoir l’éducation dans cette langue. Ne s’agit-il pas d’une marginalisation d’enfants francophones forcés à recevoir une éducation en anglais?

La Cour d’appel rejette les prétentions selon lesquelles la décision de la ministre est déraisonnable lorsqu’elle ne considère pas l’objet de l’article 23 dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (para 56). Elle qualifie toutefois de « truisme » le fait que les décideurs publics doivent prendre en considérations les valeurs fondamentales de la Charte. À la lumière de cette décision, les élèves affectés par ce pouvoir peuvent plutôt faire une revendication constitutionnelle. Par exemple, nous pouvons nous en tenir au caractère fondamentalement personnel qu’est le choix de la langue de l’instruction des enfants et leurs aptitudes linguistiques pour argumenter la violation du droit à la liberté des non citoyens. En l’espèce, la décision de la ministre viole le principe de justice fondamentale procédurale puisqu’elle est arbitraire dans la distinction qu’elle fait du terme nouveau arrivant — entre les enfants nés au Canada et ceux nés à l’extérieur de parents immigrants. Seuls ces derniers, s’ils sont allophones, peuvent avoir droit à l’instruction dans la langue de la minorité. De plus, le meilleur intérêt de l’enfant, principe juridique central dans les sphères qui l’entoure, doit être traduit par son épanouissement au sein d’un lieu d’instruction dans la langue minoritaire désirée et mieux comprise en vertu d’examens de compétences. Prétendre le contraire ne répond pas au droit de faire des choix fondamentalement importants sans contrainte de l’État et au devoir de maintenir et promouvoir l’apprentissage dans la langue des minorités, un objectif consacré par lesdites valeurs de la Charte et l’article 23.

Alors que le taux d’inscription scolaire en milieu francophone voit une tendance à la baisse de 10% depuis 2014,  la ministre se méfie d’une décision favorable à l’épanouissement d’une communauté linguistique minoritaire en considérant de fortes retombées économiques sans avoir de preuve qu’une telle décision aurait cet effet. La doctrine de l’arbre vivant promet une évolution de la Charte canadienne selon les changements sociaux de la société. Certes, l’égalité réelle et les choix personnels qui s’esquivent en matières linguistiques telles que le droit de s’épanouir dans une communauté qui partage les mêmes valeurs linguistiques et culturelles n’ont pas de prix, et ce, même pour les non citoyens.