L’Ontario modernise sa Loi sur les services en français : est-ce suffisant pour l’épanouissement de la minorité ?

L’année 2021 aura été celle des réformes linguistiques au Canada. D’abord, au mois de mai, le Nouveau-Brunswick lance les consultations publiques en vue de réviser sa Loi sur les langues officielles. Deux semaines plus tard, le gouvernement du Québec dépose son projet de loi 96 pour renforcer sa Charte de la langue française. En juin, le gouvernement fédéral fait connaître sa vision ambitieuse pour moderniser la Loi sur les langues officielles du Canada, et nomme le premier commissaire aux langues autochtones du pays.

À son tour, le 9 décembre 2021, l’Assemblée législative de l’Ontario adopte un projet de loi effectuant la modernisation de la Loi sur les services en français (LSF). Cette loi garantit aux Ontariens le droit de communiquer et d’être servi en français par l’administration centrale des ministères, par leurs bureaux, par divers organismes gouvernementaux, institutions publiques et par leurs délégués. Avec ce projet de loi, le gouvernement Ford donne suite à un engagement du gouvernement précédent et répond aux appels à l’action de la communauté franco-ontarienne.

Il reste à voir si cette nouvelle loi contribuera à l’épanouissement de la francophonie ontarienne.

Une refonte longuement attendue

La LSF n’a pas fait l’objet de modifications importantes depuis son adoption en 1986, exception faite des amendements de 2007 et 2014 établissant le Commissariat aux services en français et l’indépendance de son ancien commissaire. C’est ce dernier qui, dans son rapport annuel de 2016, avait mis en exergue les lacunes de la LSF et la nécessité d’y apporter des modifications pour répondre aux réalités changeantes de la francophonie ontarienne.

En 2016, plus de 150 participants ont débattu les mérites d’un premier projet de loi communautaire dans le cadre d’un colloque tenu à l’Université d’Ottawa à l’occasion du 30ᵉ anniversaire de la LSF. L’ambitieuse Loi sur la francophonie codifiait un nouvel aménagement linguistique pour l’Ontario pour renforcer la place du français dans la sphère publique de la province. Par exemple, ce projet de loi aurait élargi la portée de la LSF à plus grand nombre d’entités publiques, créé des nouveaux recours pour les justiciables en cas de violation de leurs droits linguistiques et augmenté les pouvoirs de mise en œuvre du commissaire.

En tant qu’avocat, professeur et chercheur en droits linguistiques à l’Université d’Ottawa, j’ai présidé le comité qui a organisé le colloque de 2016 et rédigé la Loi sur la francophonie. Dès l’ouverture du colloque, la ministre des Affaires francophones de l’époque, l’honorable Marie-France Lalonde, annonce que son gouvernement allait passer à la modernisation de la LSF. Sa successeure, l’honorable Caroline Mulroney, renouvelle cet engagement peu après l’élection du gouvernement progressiste-conservateur.

Le « jeudi noir » et le nouvel espoir des Franco-Ontariens

L’optimisme de la communauté franco-ontarienne est ébranlé le jeudi 15 novembre 2018. C’est en cette journée, désormais connue comme le « jeudi noir », que le gouvernement Ford annonce des mesures d’austérité qui se soldent par l’abandon du projet de lUniversité de l’Ontario français et l’abolition du Commissariat aux services en français. La mise en œuvre de la LSF est désormais confiée à la nouvelle commissaire aux services en français, une employée au sein du bureau de l’ombudsman de l’Ontario qui ne jouit pas de l’indépendance institutionnelle de son prédécesseur.

Choqués par ces coupures draconiennes, 14 000 Franco-Ontariens ont pris part à des manifestations dans tous les coins de la province le 1er décembre 2018, pour exprimer leur mécontentement. Face au tollé, le gouvernement Ford a reculé dans le dossier de l’Université de l’Ontario, grâce surtout à l’intervention du gouvernement du Canada qui s’engage à défrayer 50 % des coûts de la nouvelle université pour les 8 premières années.

Un nouveau projet de loi communautaire

Énergisé par cette victoire partielle, le milieu associatif franco-ontarien revient à la charge et insiste sur la modernisation de la LSF. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) forment un comité de rédaction chargé de préparer l’ébauche d’un nouveau libellé reflétant les aspirations de la communauté franco-ontarienne, comité auquel j’ai eu l’honneur de participer.

Dévoilée en septembre 2020, la nouvelle proposition communautaire prévoit notamment l’offre de services en français partout en Ontario (et non pas seulement dans les régions désignées) ; le rétablissement du commissariat aux services en français indépendant ; un préambule bonifié ; la codification du principe de l’offre active de services en français ; l’élargissement du champ d’application de la loi ; l’adoption systématique de la législation déléguée (les règlements) en français et en anglais ; la reconnaissance du comité consultatif communautaire sur les Affaires francophones ; la création de nouveaux recours judiciaires en cas de violations des droits linguistiques et la révision périodique obligatoire de la LSF.

Une avancée certaine, mais en deçà des revendications communautaires

Le 4 novembre 2021, le gouvernement Ford présente un projet de loi principalement axé sur le budget, dans lequel était enfouie en annexe la modernisation de la LSF. Ce projet de loi a reçu la sanction royale le 9 décembre 2021 sans modification supplémentaire.

Force est de constater que le gouvernement a tenu compte des revendications communautaires puisque la nouvelle mouture de la LSF intègre plusieurs éléments du libellé communautaire de l’AFO et l’AJEFO. Par exemple, les organismes gouvernementaux ont désormais l’obligation de faire l’offre active des services en français, et ce dès le premier contact avec les citoyens. Le ministère des Affaires francophones et son comité consultatif sont enfin reconnus dans la loi. Les ministères doivent rendre compte et faire rapport au Comité exécutif quant à la mise en œuvre de la LSF et la qualité des services en français. Enfin, il est désormais prévu que la loi sera révisée, en consultant le public, à tous les 10 ans, comme l’avait revendiqué le réseau associatif franco-ontarien.

En revanche, la nouvelle LSF ignore plusieurs importantes revendications communautaires, dont le rétablissement du Commissariat aux services français, la création de recours justice pour les manquements à la loi et l’ajout d’une section interprétative pour rendre limpides les objectifs de la loi.

À défaut de restaurer le Commissariat aux services en français, il conviendrait au minimum de modifier la Loi sur l’ombudsman afin d’exiger que la personne qui occupe ce poste maîtrise le français. À l’heure actuelle, les Franco-Ontariens n’ont aucune assurance que le successeur de l’ombudsman, Paul Dubé, un Franco-Albertain d’origine, puisse entendre leurs doléances et aspirations en français.

Une nouvelle stratégie de main-d’œuvre bilingue et francophone

Au final, la modernisation de la LSF à elle seule ne saurait garantir l’amélioration des services en français de l’Ontario. La réalisation des objectifs législatifs passe inévitablement par la création d’une nouvelle culture de bilinguisme dans la fonction publique ontarienne. À cette fin, le gouvernement de l’Ontario a dévoilé au mois de novembre dernier sa nouvelle Stratégie pour les services en français.

Déclinée sur trois ans, cette démarche vise l’augmentation des ressources humaines francophones dans certains secteurs essentiels comme la santé, l’éducation, la justice, les services sociaux, et les services gouvernementaux directs, une meilleure reddition de compte et la diversification des méthodes de prestation des services. Cette nouvelle politique est salutaire, voire nécessaire, pour mettre en œuvre la LSF modernisée et favoriser l’épanouissement de la francophonie ontarienne.

Originellement publié le 4 Janvier 2022 sur Theconversation