Rapport de la commissaire aux services en français sur la restructuration de la Laurentienne : La désignation, un outil à l’appui de la vitalité institutionnelle

Par : Anne Fontaine, JD, étudiante de 3e année du Programme de common law en français de l’Université d’Ottawa.

Le 31 mars dernier, la commissaire aux services en français, Kelly Burke, a publié son rapport faisant enquête sur la restructuration de l’Université Laurentienne (Rapport). Sa conclusion : l’Université et la province n’ont pas assuré la protection des programmes en français et ont manqué à leurs obligations respectives en vertu de la Loi sur les services en français (LSF). Selon nous, cette conclusion invite à mesurer l’importance du continuum de l’éducation pour la communauté minoritaire francophone, et constitue un rappel de penser la désignation comme outil renforçant les institutions francophones.

Dans les semaines qui suivront, le bureau de l’Ombudsman recevra plus de 60 plaintes. Les conclusions du Rapport, issues de plusieurs mois d’enquête, sont sans équivoque : l’Université aurait dû analyser les conséquences de sa restructuration sur la communauté minoritaire francophone en consultant les ministères pertinents, soit le Ministère des Collèges et Universités et le Ministère des Affaires Francophones. De plus, elle a enfreint ses obligations en vertu de la LSF en abolissant deux grades désignés sans suivre les étapes procédurales prescrites, soit la maitrise ès arts et la maitrise en activité physique. En effet, la LSF indique à l’article 7 qu’un organisme ne peut déroger à ses obligations que s’il existe des limites raisonnables et nécessaires dans les circonstances, et que tous les projets raisonnables aient été élaborés afin de faire respecter la loi. Le seuil élevé à laquelle est assujettie cette exception témoigne de l’importance pour une institution désignée de respecter ses obligations. En effet, le critère de la nécessité semble signifier que « les services existants ne peuvent être restreints que s’il s’agit de la seule et unique ligne de conduite possible »[1].

Le Rapport envoie un message fort aux autres institutions postsecondaires désignées sous la LSF : on ne doit pas déroger aux obligations auxquelles on a souscrit. « Être désigné est à la fois un privilège et aussi une grande responsabilité ». Les recommandations témoignent du rôle de protection et de promotion de la francophonie que toutes les institutions impliquées doivent endosser. De plus, les recommandations émises à l’égard des ministères pointent toutes vers leur devoir d’assurer la conformité des organismes désignés par rapport à leurs obligations, et illustrent même la nécessité d’adopter une approche proactive de cette responsabilité.

Ces événements ne sont pas sans rappeler la cause de l’Hôpital Montfort, où la Commission de restructuration des services de santé n’avait pas accordé suffisamment d’importance au rôle institutionnel de Monfort dans l’épanouissement de la communauté minoritaire francophone. Dans Lalonde c Commission de restructuration des services de santé, la cour d’appel de l’Ontario a réitéré l’importance de la désignation comme outil garant de la vitalité des institutions de la communauté francophone sur le plan linguistique, culturel et éducatif.

Nous souscrivons à l’interprétation étroite du terme « nécessaire » comme établit dans l’affaire Lalonde, qui désigne la seule et unique ligne de conduite possible. Dans le cas de la Laurentienne, les coupes ont eu un impact important et préjudiciable sur la prestation de ses services en français.

De plus, l’enquête révèle que l’Université n’a pas démontré qu’il était raisonnable et nécessaire de limiter ainsi ses programmes francophones. Notons entre autres la suppression de 45 % des programmes menant à des grades désignés, dont le seul programme francophone de sage-femme au Canada hors Québec.

Le récent rapport du bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario permet de jeter de la lumière sur les décisions qui ont mené à la chute de la « Laurentian University ». Osons espérer que la Laurentienne ait appris de ses erreurs et qu’elle garde à l’esprit toutes les implications de sa désignation alors qu’elle vient tout juste de conclure sa restructuration financière en vertu de la LACC.

Nous terminerons notre réflexion en faisant le pont entre la désignation en tant qu’outil renforçant les institutions désignées et l’avenir du postsecondaire francophone. Il ne peut y avoir d’institutions francophones stables sans outils renforçant leur statut. La commissaire l’a bien compris lorsqu’elle a affirmé que « l’absence d’un cadre permettant d’évaluer la conformité à la LSF [n’était] pas propre à l’Université Laurentienne. Cette lacune a un impact potentiel sur tous les établissements postsecondaires désignés » (para 114).

À notre avis, la nécessité soulevée par le Rapport de respecter les principes de proactivité, de surveillance et de conformité de la désignation, jumelée au mouvement législatif et populaire de plus en plus prononcé de reconnaître l’importance du continuum de l’éducation en français pour la minorité, laissent entrevoir un avenir prometteur pour l’épanouissement de l’éducation francophone postsecondaire au Canada.


[1] L’honorable Louis-Philippe Pigeon, Rédaction et interprétation des lois, 3e éd, Québec, Les Publications du Québec, 1986 à la p 36.