Université de Sudbury : La gouvernance par et pour la minorité, concept validé par les tribunaux et l’expérience

Lettre ouverte de François Larocque et Stéphanie Chouinard

C’est avec beaucoup d’intérêt que nous avons pris connaissance de l’annonce vendredi dernier de l’Université de Sudbury, qui s’est résolue de revenir à ses racines francophones et de se constituer en tant qu’université de langue française gérée par et pour la francophonie ontarienne. Cette proposition a le potentiel de changer la donne de l’éducation postsecondaire en français dans le Nord de l’Ontario, voire, dans l’ensemble de la province. 

Nous saluons la sagesse de mandater « le recteur de l’Université de Sudbury de prendre toutes les démarches requises pour que l’Université de Sudbury devienne, dans les meilleurs délais, une université gérée et contrôlée par et pour la francophonie ontarienne » où la langue de travail, la programmation et les services seraient assurés en français. L’une des missions centrales de la nouvelle Université de Sudbury serait de former « les professionnels requis pour mettre en œuvre l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés en Ontario. » Le maintien d’une faculté d’éducation de langue française dans le Nord de la province nous apparait effectivement essentiel à la vitalité de la francophonie ontarienne.

Plus lumineuse encore est l’idée de confier la gestion et le contrôle de l’Université de Sudbury à la communauté franco-ontarienne. La gestion « par et pour » est un principe maintes fois validé par les tribunaux judiciaires et l’expérience des communautés francophones minoritaires partout au pays. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mahé c Alberta en 1990 : 

« Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture. Ils sont nécessaires parce que plusieurs questions de gestion en matière d’enseignement (programmes d’étude, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistique et culturel. … [L]es minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. »

30 ans et 30 conseils scolaires de langues françaises plus tard, les leçons de l’arrêt Mahé ne font aucun doute : le par et pour est une formule gagnante. 

La gestion et le contrôle ne vaut pas uniquement au primaire et secondaire. Rappelons que les ministères des Collèges et Universités de l’Ontario et de l’Éducation ont récemment donné leur aval à ce modèle de gestion en 2020 dans le sud de la province. Ils pourraient tout aussi bien l’approuver pour le nord. 

Le recteur de l’Université Laurentienne affirme vouloir maintenir le caractère bilingue de cette institution contre vents et marées. Il demeure cependant que l’avenir de l’Université Laurentienne, et celui de la programmation universitaire en français dans le Nord de l’Ontario, demeurent incertains.

Dans ce contexte, il nous apparait salutaire qu’une institution comme l’Université de Sudbury se porte garante de sa pérennité. Celle-ci est déjà partie prenante aux procédures de médiation entreprises en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Avec l’appui de l’Assemblée de la francophonie ontarienne et éventuellement de celui de mouvements communautaires issus des secteurs de l’économie, des services sociaux, de l’immigration, de la santé, des services communautaires et des arts et de la culture, la nouvelle Université de Sudbury pourrait un jour bientôt se positionner comme l’Université du Nouvel Ontario (idée de nom complètement gratuite).

François Larocque,
titulaire de la Chaire de recherche, Droits et enjeux linguistiques; professeur titulaire à la Faculté de droit, Section de common law, de l’Université d’Ottawa

Stéphanie Chouinard,
professeure adjointe au Département de science politique du Collège militaire royal (Kingston) / Queen’s University